Partie 1 :
Le Bigboy gémit et sa structure métallique protesta quand Nero lança le vaisseau dans l’atmosphère d’Ord Mantell. La friction transforma l’air en feu, et le contrebandier observa la lueur orangée des flammes à travers le transparacier du cockpit du cargo. Il se rendit compte qu’il agrippait le manche avec trop de nervosité, et relâcha un peu sa prise. Depuis toujours, il détestait l’entrée dans l’atmosphère, avec ce décompte interminable de quarante secondes pendant lesquels la chaleur, la vitesse et les particules ionisées provoquaient une mise hors service temporaire des senseurs. Il ne savait jamais quelle sorte de ciel il allait rencontrer en sortant du noir. A l’époque où il transportait des commandos pour le compte de la République, lui et ses compagnons pilotes comparaient le blackout à un plongeon à l’aveugle de haut d’une falaise en bord de mer. Tu espères toujours arriver dans de l’eau assez profonde, disaient-ils. Mais tôt ou tard, c’est une marée basse et tu t’écrases sur les rochers. Ou en plein dans des tirs croisés nourris. Aucune importance, d’ailleurs. Le résultat serait le même.
-Sortie de noir, dit-il quand les flammes se dissipèrent pour laisser apparaitre le ciel en dessous du vaisseau. Personne ne répondit à cette annonce. Il pilotait seul le Bigboy, comme il travaillait seul. Désormais, il e transportait plus que des armes pour La Bourse. Il avait ses raisons, mais il s’efforçait de ne pas trop réfléchir à ce qu’il faisait.
Il redressa l’appareil et effectua un rapide balayage de reconnaissance des alentours. Les senseurs ne relevèrent rien.
-Eaux profondes, et ça me va très bien, lâcha-t-il en souriant.
Sur la plupart des planètes, dès l’entrée dans l’atmosphère, il devait s’échiner à esquiver l’interdiction du gouvernement planétaire. Mais pas sur Ord Mantell. Cette planète était le repaire des syndicats du crime, des chasseurs de primes, des contrebandiers, des trafiquants d’armes et des convoyeurs d’épice. Et c’étaient eux qui dirigeaient ce monde. Les guerres entre factions rivales et les assassinats divers les tenaient très occupés, de sorte qu’il n’y avait pas de véritable gouvernement central, et encore moins de force de police régulière pour faire appliquer les lois. Les latitudes inférieures et supérieures en particulier étaient peu habitées et rarement visitées, ce qui en faisait des déserts virtuels. Nero aurait été étonné que le gouvernement mette des satellites de surveillance en orbite au-dessus de cette zone. Et cela lui convenait très bien. Le Bigboy traversa une épaisse couche de nuages rosés et les brun, bleu et blanc de l’hémisphère nord d’Ord Mantell emplirent le champ de vision du pilote. La neige et la grêle saupoudraient le ciel tel des shrapnels glacés qui tambourinaient sur un rythme régulier contre la coque du cargo. Le soleil couchant baignait une grande partie du paysage de nuages rougeâtres et orangés. Sous lui roulait la mer du nord, sombre et houleuse, et les contours blancs irréguliers d’écume révélaient les milliers d’îles non répertoriés qui parsemaient sa surface. Loin à l’ouest, il apercevait la côte brumeuse d’un continent et les pics effilés coiffés de neige qui s’alignaient selon un axe nord-sud. Un mouvement attira son regard.
Une nuée d’ailes-de-cuir, trop peu importante cependant pour déclencher l’alerte sonore d’un senseur, volait deux cents mètres à tribord, beaucoup plus bas, et leurs énormes ailes membraneuses battaient au ralenti dans l’air glacé. Les créatures formaient une grande parenthèse mouvante en se dirigeant vers le sud, en quête de températures plus clémentes, et elles ne réagirent même pas quand il les survola puis s’éloigna. Leurs yeux d’un noir mat clignaient rythmiquement sous l’assaut de la neige et de la grêle. Il réduisait la puissance des moteurs ioniques afin de ralentir encore. Un bâillement fit trembler ses mâchoires. Il se redressa sur son siège et fit de son mieux pour repousser la fatigue, mais il avait confié le vaisseau au pilote automatique pendant le trajet en hyperespace depuis Vulta, mais c’était le seul répit dont il avait pu profiter ces deux derniers jours standard.
Il commençait à ressentir les effets de tous ces efforts cumulés. Il gratta sa barbe naissante de son menton, se frotta la nuque d’une main et entra les coordonnées dans le calculateur de navigation. Celui-ci se connecta à l’un des satellites géostationnaires non sécurisés d’Ord Mantell, qui lui renvoya aussitôt la position et la trajectoire du vaisseau. Le collimateur tête haute de Nero l’afficha sur la partie supérieure du cockpit. Il y jeta un œil et posa un doigt sur sa destination.
- Une île quelconque dont personne n’a jamais entendu parler, et où personne ne se rend jamais. Ça devrait faire l’affaire.
Nero confia l’appareil au pilote automatique, qui l’orienta aussitôt vers l’île choisie. Il laissa son esprit vagabonder pendant que le Bigboy filait à travers le ciel. Le crépitement régulier de la grêle sur le cockpit lui chantait une douce berceuse